la CGT de Loire Atlantique (44)
Une assemblée IHS vraiment extraordinaire !
jeudi 31 mars 2022

Salle Anne-Claude Godeau, tout un symbole ! C’est à la maison des syndicats, dans les locaux de la CGT que l’Assemblée générale extraordinaire de l’Institut d’Histoire Sociale (IHS) de Loire-Atlantique du syndicat s’est tenue lundi 28 mars 2022 à Nantes.

Cette réunion s’est voulue festive pour nouer et renouer les liens entre les adhérents et syndiqués. La convivialité était annoncée sur les tables et en entrée de réunion une prestation théâtrale a été exécutée par Martine Ritz, militante de la CGT-Spectacle, très appréciée de la trentaine de personnes présentes.

Une salle conviviale à l’écoute de Martine.
(Photo Patrice Morel)

Des discussions et interventions entre toutes et tous ont étayé la présentation de l’importance de l’histoire dans la vie syndicale, tant pour témoigner du passé que pour la construction de l’avenir.

Des échanges riches !
(Photo Patrice Morel)

À l’issue de cette assemblée, une dizaine de bulletins d’adhésions à l’association ont été remis. Rendez-vous a été pris pour étoffer et prolonger la vie de votre IHS avec un nouveau Bureau.

Rejoignez-nous en adhérant.

L’intervention de Martine

Librement inspiré de Notre usine est un roman et de Martine occupe l’Opéra Graslin.

Site pharmaceutique de Romainville, Lundi 18 septembre 1967

L’activité de l’atelier de développement chimique tient autant de la cuisine médiévale que de la chimie industrielle... 50 heures par semaine passées à l’usine, 45 dans l’atelier à travailler dans les solvants -acétone, éther, alcool- un labeur qui vous renvoie à la maison avec la tête et le corps engourdis. Peu de problème d’alcoolisme au développement chimique : le taulier fournit la dose....gratuitement.... en vapeurs...

C’est incroyable ce monde de Sanofi-Aventis, une vraie fourmilière ! Fourmis bleues et fourmis blanches. Sauf ceux-là en treillis verts.... Ce sont les ouvriers de l’atelier de développement chimique.

Le groupe des jeunes embauché.e.s doit se frayer un passage parmi eux.
L’agent du personnel qui guide leur visite de l’usine n’aime pas ça ! La nouvelle génération passée au tamis de salariés en grève, ça donne le mauvais exemple !

2 jours après, le mercredi 20 septembre 67, devant les grilles de
l’usine à 6h30,

En langage syndical « distribuer » veut dire « distribuer des tracts ». On dit aussi « tracter ». Cela sous-entend d’être plusieurs.
Les courageux militants font grise mine quand ils s’aperçoivent qu’ils ne
sont que trois. Laurent, le délégué annonce :
- Un devant les grilles de l’usine 5, un à la 1 et un à la 4 !
- On distribue tout seul ?
- Bah non.... on distribue tout seul, mais à 3 !

A Romainville, il ne se passe pas une semaine sans un tract de la CGT.
« Je ne les lis pas » est une phrase qu’on entend régulièrement et pourtant tout le monde semble toujours au courant.
Le tract, on ne le lit pas, on en entend parler par les collègues !
Le tract est le pot de terre du militant contre la main de fer de la direction ! C’est un exercice de longue haleine, mais on n’a jamais trouvé mieux pour informer les salarié·e·s.
Et puis distribuer fait partie de l’hygiène du militant ! comme le dit Gustave. Tu vois si j’ai le pouce de la main droite aplati, c’est à force de « tracter » ! L’abrasion de la peau, par le papier !
Personne n’est obligé de le croire mais personne n’est obligé non plus de le contredire. On sait avoir du tact entre camarades !

Gisèle, une nouvelle, attrape un tract au passage. Une chose est sûre, dès qu’elle sera vraiment embauchée, elle se syndiquera ! Elle a vu les délégué.e.s venir sur les chaînes pour demander aux filles si elles avaient quelque chose à dire avant la réunion avec la direction ! Et puis les délégués, ils s’occupent autant des filles en période d’essai, comme elle, que des Usiphars, c’est comme ça qu’on dit pour les embauchées qui travaillent au conditionnement !
Être syndiquée, c’est être encore plus une Usiphar, se dit Gisèle.

Isabelle, elle, elle n’est pas fille d’ouvriers mais de commerçants... Pour son père, la réussite de l’usine, c’est celle du patron et de son fils, pas celle des ouvriers.
Elle rejoint Marie-Laure, une ancienne, elle a des questions à lui poser.
- C’est une bonne boîte quand même, une boîte paternaliste comme dit
mon père.
- Justement Isabelle, la logique paternaliste, elle est là ! Qui aime bien, châtie bien ! Le patron et son fils considèrent que les syndicats n’ont rien à faire puisqu’ils s’occupent eux-mêmes du bien-être de leurs salariés, de leurs gens ! Ils considèrent les syndicalistes de la CGT comme des révolutionnaires qui veulent leur piquer leur usine !
- T’es révolutionnaire toi Marie-Laure ?
Il y a une petite pointe d’inquiétude dans la voix d’Isabelle. Si c’était le cas, ce ne serait plus un écart mais un gouffre entre elles.
- Non, mais je suis syndiquée pour le travail, pour le métier ! Parce qu’en
recherche, on est une chaîne, de la femme de ménage jusqu’au grand
chercheur !
- T’es communiste ?
- Ben oui !
- Ah....
Isabelle se dit alors qu’elle va commencer la journée par une cigarette.
Pour le reste, on verra plus tard....Chaque chose en son temps.

Le Lundi 15 janvier 1968, Usine 4 à 20h11, Gisèle, qui est syndiquée depuis quelques mois, a préféré quitter la réunion rapidement. Parfois elle trouve que les débuts de réunion, tournent un peu à la bataille des égos entre les hommes.
Faut bien les laisser pisser dans les coins pour marquer leurs territoires ! Normalement ça dure jamais trop longtemps, rapidement on en vient au fond des choses. Elle n’a que 25 ans et elle trouve que les réunions syndicales sont un lieu de formation extraordinaire.
Pourtant ce soir ça fait exception, la bataille des égos n’en finit pas !
Personne n’écoute personne ! Alors quand l’air est devenu saturé des odeurs de pipi d’égo, Gisèle a préféré quitter la réunion.
Elle ne peut pas se satisfaire de l’argument avancé par certains, qui craignent une défaite aux élections professionnelles, et qui cherchent à en atténuer la portée :
- on peut avoir raison avant les autres ! Si on perd, ça veut pas dire qu’on a tort !
Gisèle est d’accord en partie mais pour elle, c’est une pente dangereuse vers l’idée selon laquelle on pourrait avoir raison contre les autres, ceux là même qu’on affirme défendre. Elle se demande même si la vieille garde du syndicat ne le pense pas, et si un score faible ne les conforterait pas dans l’illusion d’être une avant-garde éclairée !
- Le problème avec l’avant-garde, c’est que quand elle prend trop
d’avance, on la perd de vue !

Finalement Isabelle a voté pour le syndicat de sa copine Marie-Laure.
Gisèle et Mathilde aussi. Le conditionnement est un grand pourvoyeur de
voix pour la CGT. Mais avec 48,24%, en ce début d’années 68, le score
est sans appel...finalement la CGT est devancée par la CFDT.

4 mois plus tard, le lundi 20 mai 1968, Gisèle et Isabelle font leur premier jour de grève ! Il y a du flottement dans l’usine, aucun délégué syndical n’est là pour répondre aux questions. Ça va, ça vient dans l’usine mais rien ne semble vraiment organisé. Alors Gisèle rejoint le local syndical, pile au moment où tout le monde le quitte...
- ça doit être comme ça une révolution, se dit-elle. Une vraie pagaille !

Le lendemain, Mathilde part de chez elle, comme d’habitude. Un kilomètre à peine sépare son appartement de la rue du cimetière et de son point de vue sur l’usine. Dès qu’elle sort de chez elle, son ventre se contracte, comme si des doigts se repliaient en elle et se fermaient sur ses tripes. C’est presque en courant, courbée en deux, qu’elle arrive à l’angle qui surplombe l’usine. Deuxième jour de grève, le drapeau flotte sur l’usine, ce matin encore …. l’étreinte se libère !
Mais elle laisse place à une douleur plus diffuse, un tourment qui se nourrit sans fin de « comment » !
Comment préserver l’unité syndicale ?
Comment nourrir tous les salariés dans l’usine ?
Comment les inciter à ne pas rentrer chez eux ?
Comment établir une base de revendications ?
Faut-il négocier maintenant avec la direction ou attendre que la grève s’amplifie ? Faut-il négocier localement ou attendre une négociation nationale ? Que dit la confédération ?
Comment ne pas rater cette chance historique ?

6 ans plus tard, le Vendredi 13 décembre 1974,
Mathilde a prétexté un travail au laboratoire pour ne pas prolonger la soirée au restaurant avec les autres. Après 68, Mathilde a traversé 3 années de dépression. 3 années en hiver comme elle dit. Pour elle mai 68 , c’est une occasion historique ratée et elle n’est pas sûre que les conditions de renverser le capitalisme vont se représenter de sitôt. Laurent a une formule d’une lucidité extrême qui accompagne Mathilde, chaque fois qu’elle se reprend à déprimer : « la révolution, ça pourrait prendre du temps... n’oublie pas de vivre en attendant ! »
Ce soir, en rejoignant son labo, Mathilde analyse bien le risque de se dissoudre dans son engagement qu’elle sait trop fort, total. Le risque de s’y perdre si jamais les défaites succédaient aux défaites.
N’oublie pas de vivre en attendant !

Mercredi 1er janvier 1975, bonne année !
Le programme du conseil national de la résistance promettait des jours heureux.... Pourtant la guerre s’est prolongée 4 ou 5 ans encore dans le ventre des enfants, que les tickets d’alimentation peinaient à remplir. Les gamins de cette époque se souviennent des fulgurantes fringales qui leur sciaient les pattes sur les terrains de foot tracés dans les ruines. Ce n’est qu’au détour de l’année 50, que s’est véritablement ouverte cette nouvelle ère durant laquelle « demain sera mieux qu’aujourd’hui ». Cela allait de soi !
La fin des années 70 allait clore cette période de trente années que l’on baptiserait plus tard les 30 glorieuses.
En ce début de 1975, des signes avant-coureurs viennent ébranler la belle croyance d’un futur prometteur.

Vagues du choc pétrolier de 1974....augmentation soudaine du nombre
de chômeurs...

Martine
Je me souviens très bien des copines et copains qui arrivaient de plus en plus nombreux, le matin dan mon lycée du Nord de la France, les yeux embués : mon père a été licencié hier.... moi aussi, ma mère a reçu sa lettre de licenciement !
Je me souviens de la décharge violente dans le ventre que je ressentais à chaque fois...
Pourtant en 68, quand j’avais 10 ans, avec mon père, instituteur en grève, quand on s’arrêtait sur les piquets de grève des ouvriers, que mon père avait eu comme élèves, je me souviens de la fierté et de la joie que j’éprouvais, en tenant sa main et en regardant brûler les braseros. J’avais l’impression d’entrer directement dans l’histoire, celle qu’on raconterait plus tard comme une grande victoire dans les livres d’école.
Alors avec une copine, un peu avant les élections présidentielles de 1974, on a écrit à Mitterrand le candidat que soutenait mon père, en lui demandant de gagner, en étant vraiment à gauche !
Des discussions entre mon père socialiste et ma mère communiste, j’avais déduit que pour faire avancer les choses, il fallait que ce soit « le plus rouge possible », rouge vif comme les braises des braseros de mes 10 ans.
Alors quand on a reçu la réponse standard de son équipe de campagne avec le tampon de la signature de Mitterrand, on était fières, mais un peu déçues. Il ne nous avait rien promis !

Dimanche 10 mai 1981 Appartement de Marie-Laure
Les fenêtres sont ouvertes, le temps est lourd sur la banlieue de Paris.
Dans maintenant 3 minutes, nous connaîtrons le nom du nouveau
président de la République.
- T’as vu la gueule qu’il tire Elkabbach !
- C’est bon signe !
Marie-Laure s’isole dans la cuisine.
- Marie-Laure vient, ils vont le dire !
Dino appelle Marie-Laure, mais elle préfère rester en retrait. Elle ne sait pas comment elle va réagir. Si c’est une défaite, elle le sait, ce sera avec vaillance. Le combat syndical vous apprend ça : marcher, tomber, se relever.... Mais une victoire ? Ça lui semble inimaginable !
Le Présentateur égrène le compte à rebours : Dix, neuf, huit... Plus un
bruit dans le salon. Trois, deux, un !
- Merde le crâne de Giscard !
Marie-Laure jette un œil vers le salon. Dino bouge et cache la télévision.
Marie-Laure se dit qu’elle va apprendre la nouvelle après tous les autres.
- Dino c’est qui ?
Il n’entend pas car c’est une clameur qui répond à Marie-Laure. Elle s’élève de toute la cité. Un souffle expulsé de 1000 poitrines au même moment. Un cri libéré. Une vague … une onde née de la terre, aspirée par le ciel, qui transperce chacun des pieds à la tête... Elle traverse les corps, électrise, soulève, foudroie.... comme un éclair inversé de la terre au ciel, propulsant des femmes et des hommes vers un avenir radieux !
Un peu sonnée, Marie-Laure est allée s’asseoir sur le lit de sa fille, qui n’arrive pas à s’endormir avec le bruit !
- Maman, y a un nouveau président ?
- Oui François Mitterrand !
- Ça va changer quoi ?
- Les choses vont aller mieux chérie !
- Ah bon ? Mais c’est déjà bien quand même maintenant !
Marie-Laure se dit que Dino et elle ont tant bien que mal réussi à protéger Catherine. Ils se sont fixés comme règle de ne jamais parler du syndicat ou de politique en sa présence à cause de l’inquiétude que ça suscite en elle. Son imaginaire de petite fille est peuplé de héros et de méchants. Elle croit comprendre que ses parents affrontent un méchant plus fort qu’eux : le patron. Il n’y a pas longtemps, il a supprimé un jour de salaire à son papa, qui la gardait à la maison parce qu’elle avait la varicelle. Maman était restée les deux premiers jours, et papa le troisième. Mais les 3 jours d’absence pour enfant malade sont réservés aux femmes. Alors papa a perdu un jour de salaire. Ses parents voulaient faire changer les choses mais le patron n’a pas compris.
- Ça va changer quoi ?
Marie-Laure attend tellement de la gauche au pouvoir : des libertés syndicales dans l’entreprise, une redistribution des richesses, des nationalisations... Tellement, tellement .... Vivre mieux, debout, plus libres ! Plus de justice sociale surtout !
- Papa pourra me garder quand je suis malade ?
Marie-Laure sourit. Finalement ils n’ont pas si bien que ça réussi à la protéger des coups durs de ces dernières années !
- Y a intérêt !!!
- Et on pourra pas te licencier ?
- Licencier ? Pourquoi tu dis ça ? Tu sais ce que ça veut dire licencier ?
Non on pourra pas me licencier ! Faut dormir maintenant …. Bonne nuit chérie !
- Bonne nuit maman !

Il y a 2 ans, Marie-Laure a été licenciée. Catherine n’avait que 7 ans....Dino et Marie-Laure ont tout fait pour masquer cette épreuve à leur fille en demandant aux copains de ne pas en parler à la maison. Ils croyaient avoir réussi !
- Et on ne pourra pas te licencier ?
Un monde plus juste, un monde meilleur pour sa fille, voilà... c’est ça ce que Marie-Laure attend de la gauche au pouvoir...

Martine
Moi aussi, Marie-Laure, c’est ce que j’attendais !
Pas pour ma fille car je n’en avais pas à l’époque mais pour la jeunesse, pour moi, pour mes parents, pour tout le monde...
40 ans plus tard, le 10 mai 2021, 62e Jour de l’occupation de l’opéra Graslin, je me demande moi aussi comme Mathilde, au 2e jour de grève en 68, comment faire ?
Comment on va tenir ?
Comment on va renverser la table ?
Comment on va convaincre toutes celles et tous ceux qui ne sont pas là ?
Comment on va sortir du piège droite-extrême, extrême-droite ?
Comment on va le faire ce satané monde meilleur pour nos filles ?

La rage est intacte, mais le corps fatigue !
Continuer d’y croire, ça ça va, mais trouver de nouvelles idées pour changer vraiment la donne... pour gagner, ça c’est chaud !

Pourtant il y a les jeunes qui nous ont rejoint, les camarades qui nous soutiennent, mais est-ce que ce sera suffisant pour le faire se lever ce mouvement social indispensable !

La rage est intacte ! Surtout, s’appuyer dessus ! Ne pas renoncer !
Tous les matins se lever pour changer le monde.

Mais il y a des matins, où je peux vous dire, la petite-fille de 10 ans, près du brasero est bien loin ! C’est plus vraiment de son âge à cette vieille petite-fille de coucher par terre !

Déjà plus d’un an depuis le début de l’occupation...
Il y a quelques semaines, après son 12e test, mon petit-fils de 10 ans m’a demandé « dis mamie, c’était comment, toi, quand tu avais dix ans ?
Alors comment vous dire.... ???
il a eu droit aux braseros de 68, à la lettre à Mitterrand, à la joie de mai 81, à la trahison du PS.... au fait qu’il ne faut jamais renoncer, qu’il faut se battre encore et toujours….. et tout le tintouin...
Pauvre Maxence, je ne suis pas certaine de l’avoir rassuré ! Mais après tout, peut-être que si …
Marcher, tomber, se relever ….
L’éternel recommencement du militant !

Alors aujourd’hui, 28 mars 2022, devant vous mes camarades, comme tant d’autres avant nous et tant d’autres après nous, je vous dis que c’est debout et la goule ouverte que vous aurez à me supporter encore un moment !!!!!

Merci à vous !

Martine Ritz

Sources

Les chansons des luttes (tirée du CD avec le livret, les chansons des
luttes - CGT)

Ce texte est librement inspiré d’extraits de Notre usine est un roman de Sylvain Rossignol et de Martine occupe l’Opéra Graslin ;-)

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