la CGT de Loire Atlantique (44)
Pas attractive la France ? Larmes de crocodile du patronat et manque de vision de l’exécutif
mercredi 5 août 2020

L’affaire est entendue : la France soumet ses entreprises à des impôts excessifs, à des cotisations trop nombreuses, ce qui nuirait à sa compétitivité. Comme le chassé croisé entre juilletistes et aoutiens, la ritournelle des prélèvements obligatoires « trop élevés », du manque de « compétitivité » ou « d’attractivité » de la France revient systématiquement occuper le débat public pour justifier d’énièmes concessions au patronat.

Dans un article des Echos [1], le dirigeant de Safran s’émeut des impôts de production, véritable « tue l’amour ». Voilà que le patronat joue la carte du romantisme pour demander des baisses d’impôts [2], (qu’ils sont en passe d’obtenir, pour 10 milliards d’euros par an, soit un demi-CICE, rien que ça). Est-ce de nature à favoriser le retour de nos amours industrielles d’antan ? La France est-elle si peu attractive ? A en croire une étude de l’agence française pour les investisseurs internationaux de 2014, rien n’est moins sûr. [3]

Je t’aime, moi non plus ?

Que disent les investisseurs étrangers de l’hexagone ? Le graphique ci-dessous donne quelques éléments de réponse :

La colonne qui nous intéresse est bien celle de la fiscalité des entreprises. 63% des investisseurs jugent la fiscalité française « attractive » (et pour cause ; faut-il rappeler que la France a une des productivités de l’impôt sur les sociétés les plus faibles au monde du fait de l’existence de plusieurs centaines de mécanismes d’exonération ? [4]). Le patronat joue sa partition ; il demande des exonérations, en menaçant comme il sait si bien le faire de licencier à tour de bras. Et le gouvernement suit, sans sourciller, suivant la funeste logique de la politique « de l’offre », extrêmement coûteuse pour les finances publiques et dont les résultats sur l’emploi n’ont jamais été attestés.

Les bourrins de la fiscalité

La boîte à outils de ce gouvernement est tout de même bien mince. Peu importe le problème, il faut baisser la fiscalité ou les cotisations. Problème de désindustrialisation ? Baisse d’impôts ! Trop peu d’emplois ? Baisse de cotisations ! Chômage des jeunes en passe d’exploser ? Baisse de cotis… aïe, il n’y a malheureusement plus aucune cotisation patronale jusqu’à 1.6 smic, et donc plus grand-chose à baisser… Qu’à cela ne tienne ! SUBVENTION (c’est-à-dire, cotisation négative en somme) de 4000€ jusqu’à 2 SMIC (et même pour un CDD de trois mois n’ouvrant pas de droits au chômage, le gouvernement est magnanime).

Sacré « disruption » que celle d’un nouveau monde qui applique à la lettre les recettes économiques du passé qui ne fonctionnent jamais. Le gouvernement, en symbiose totale avec le patronat, est victime de la « Loi de l’instrument » que l’on peut résumer ainsi : « donnez un marteau à un jeune garçon, et il trouvera que tout a besoin d’être martelé ». Remplacez « marteau » par « baisse d’impôts et de cotisations », et vous obtenez la politique économique de Bruno le Maire.

Revenons un instant au graphique précédent. Ses premières colonnes sont riches d’information.

En termes d’infrastructures de communication, de transport, de logistique, et de qualifications, le satisfecit des investisseurs est presque total ! C’est heureux, puisque ce sont des déterminants essentiels des décisions d’investissement des entreprises. Mais d’ailleurs, qui financent lesdites infrastructures ? Vous l’avez deviné, c’est la collectivité, via… la fiscalité ! Le patronat veut donc le beurre, l’argent du beurre et plus encore ; bénéficier de l’attractivité sans contribuer à sa réalisation.

C’est dire l’état du rapport de force et c’est dire ce qui nous reste à gagner. Car l’autre nom des politiques « d’attractivité », c’est la concurrence, notamment fiscale.

Et à ce jeu, il n’y a jamais qu’un gagnant : les détenteurs de capitaux.

La folle course à la compétitivité

Il faut bien rappeler une vérité économique fondamentale. La compétitivité est un avantage relatif. Cela veut dire que si l’on est compétitif, quelqu’un l’est nécessairement moins. Cette course, notamment en Europe a eu des conséquences désormais bien connues :

Triste tableau de l’intégration économique européenne, qui non seulement n’a pu empêcher la concurrence généralisée entre travailleur-euses, mais l’a accélérée.

Plus généralement, voilà ce que donne cette concurrence du point de vue fiscal :

Le taux d’imposition sur les entreprises (équivalent de l’IS en France) est passé de 40% en moyenne dans les économies du G20 en 1990, à moins de 28% trente ans plus tard. C’est la conséquence directe des « politiques d’attractivité ». Rappelons qu’une baisse d’IS est prévue également d’ici la fin du mandat présidentiel. Autrement dit, la course continue ; jusqu’à quand ?

En finir avec l’attractivité

Au total, ces politiques d’attractivité n’ont qu’une conséquence réelle : réduire comme peau de chagrin les marges de manœuvre budgétaires des États (et des caisses de sécurité sociale). Elles permettent aussi de justifier des « réformes » sur fond de baisse organisée des recettes (le fameux « trou de la sécu »).

Qui peut décemment croire que la fiscalité résoudra les problèmes de désindustrialisation de la France ? Une baisse d’impôts va-t-elle permettre à la France de devenir voisine de pays à bas-coûts comme c’est le cas pour l’Allemagne ? Le graphique ci-dessous [5] est éloquent : ce qui caractérise sur longue période la compétitivité allemande c’est :

C’est particulièrement vrai dans le cas de l’industrie automobile. Pour être vraiment compétitif, il faudrait donc devenir voisin de la Pologne… et prendre la place de l’Allemagne.

En définitive, le problème de l’industrie est structurel, et une nouvelle baisse d’impôts n’y changera rien. Nous ne gagnerons pas cette course à la compétitivité. Se posent des questions majeures de politique économique.

1. Comment (et peut-on) modifier totalement le fonctionnement de la zone euro pour passer d’une logique de concurrence permanente à une logique de coopération ?

2. Comment planifier une véritable politique industrielle en France, avec 3 impératifs :

Sur ces éléments, nous avons beaucoup à dire.

Les besoins doivent bien sûr se penser dans une logique de transition écologique et sociale : développer les filières du médicament, l’imagerie médicale, les wagons et les rails pour le fret ferroviaire, assurer la souveraineté en matière sanitaire etc. Les projets ne manquent pas.

Les moyens nécessaires sont bien sûr colossaux. On ne fait pas de politique industrielle sans ambition. Ainsi de la rénovation thermique des bâtiments, qui demande à la fois une réflexion sur la production et transformation des matériaux, et sur l’emploi et les qualifications dans le secteur de la construction.

Sur les modalités de financement enfin, là aussi notre alternative à la médiocre stratégie d’attractivité est ambitieuse : la création d’un pôle financier public, associé au commissariat général au plan, et chargé d’assurer un fléchage coordonné de la politique budgétaire (via l’endettement public et la hausse de la fiscalité sur les hauts patrimoines) et de la politique monétaire (via les politiques offensives de la Banque Centrale). Il y a un plan à penser, de nouveaux outils à discuter.

Se limiter, comme le fait le gouvernement, à de vulgaires baisses d’impôt est une erreur historique qui traduit le manque total de vision de nos dirigeants.

L’imagination au pouvoir, ce n’est pas encore pour aujourd’hui

[2Deux « impôts de production », la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises et la Contribution Sociale de Solidarité
des Sociétés

[3Merci à l’économiste Leo Charles pour la référence.

[4Quizz de l’été : entre la TPE qui a du mal à boucler les fins de mois et la multinationale remplie d’avocats, qui profite le plus de ces mécanismes ?